Description

J’allais tomber dans les pommes au milieu de la société dans laquelle je travaillais. On m’a récupérée de justesse avant que je ne tombe par terre. On m'a commandé un taxi et le garçon qui m'a aidé à aller jusqu'au taxi m'a dit : « Mais enfin, ma copine aussi a des règles douloureuses, elle ne se met pas dans un état pareil à chaque fois. » Je n'ai pas réagi sur le coup parce que j'étais en train de gérer ma propre crise, donc je ne pouvais pas tout faire. Mais j'ai été un peu abasourdie parce que j'étais face à quelqu'un que je savais très ouvert, très compréhensif et très intelligent. Et, en une réflexion, je me suis dit qu'il comprenait pas du tout la douleur que ça pouvait être. J'ai eu l'impression qu'il me jugeait d'en faire trop alors qu’il avait vécu mon opération de 2017, et je me suis vraiment dit à ce moment là : « En fait, il n'a pas compris ». 

Je m'appelle Amandine Bonnin, j’ai 37 ans et je suis chargée de production audiovisuelle. Et je suis atteinte d'endométriose. 

L'endométriose, c'est les règles qui ne s'évacuent pas, finalement, comme tout le monde. Ou nous, les filles atteintes d’endométriose - les « endogirls », comme on les appelle -, on stocke ces poches de sang à l'intérieur de notre corps, elles ne s'évacuent pas et elles stagnent aux ovaires, dans l'utérus, sur les parois digestives. Elles font des lésions dans la vie quotidienne, et assez abrasives. 

Dans mon tout premier travail, je travaillais chez MFP Productions qui était - enfin qui est toujours - la boîte de production de France Télévisions. J'étais assistante de prod et c'était vraiment les débuts où la maladie devenait un peu plus problématique dans le sens où je posais des jours de congés au moment où j'allais avoir mes règles. Je posais un jour avant, un jour après, en général, pour être sûre que ce ne soit pas trop difficile. Parce que je savais que le jour un, c'était déjà compliqué, mais le jour deux était en général le pire. Je n'expliquais pas pourquoi tous les mois je posais deux jours de manière très arrêtée. Personne ne s'est posé la question non plus, je pense. Pourtant, j'étais dans un service où il n'y avait que des filles, donc j'aurais pu en parler assez facilement. Mais c'était mon premier boulot, donc je pense que j'avais quand même une pression pour montrer une image de moi qui était tout autre que la fille douloureuse. 

Le diagnostic a été posé seulement en 2017. J'ai eu une errance médicale de pratiquement quinze, seize ans, donc je pense que je ne savais pas non plus comment expliquer que j'avais des règles douloureuses et que ça m'impactait déjà autant à l'époque. 

J'ai enchaîné plusieurs sociétés de production où j'avais une pilule en continu, donc j'avais un peu moins de douleurs quotidiennes puisque je n'avais pas mes règles. Je me disais qu'à mon âge, je ne pouvais pas couper totalement mes règles, ça impactait toute une vie derrière, d’enfant, de couple… 

En 2012 - 2013, j'ai décidé d'arrêter cette pilule en continu. J'ai donc retrouvé mes douleurs mensuelles, et qui était beaucoup plus abrasives qu’avant. Ça m’impactait, on va dire, au moins une bonne semaine où j'étais totalement alitée. Je ne pouvais pas sortir de mon lit parce que j'avais l'impression que mon ventre était totalement à vif. Et dès que je posais un pied au sol, je tombais dans les pommes. Donc, ce n'était pas vivable de me rendre tout simplement au travail. Je ne bougeais pas de chez moi et je restais en jogging avec ma bouillotte. Mais je travaillais chez moi… et ça a été une confiance entre eux et moi, et ça, c'était plutôt chouette à vivre, parce qu’il y a toute une partie de la culpabilité qui s'est envolée pour moi. Et travailler avec des gens de confiance, c'est béni ! 

En 2017, j’ai été diagnostiquée atteinte d'endométriose, en mai 2017, et j'ai été opérée le 10 juillet 2017 - donc ça a été quand même très rapide derrière -, où j'ai eu l'ablation des trompes, des deux trompes. Et à ce moment-là, j'étais dans une société de production qui s'appelle Tournez s'il vous plaît. Là, c'était devenu problématique parce que souvent j'avais mal une semaine avant mes règles, j'avais mes règles pendant une semaine où j'étais totalement alitée, et la semaine d'après j'étais encore très douloureuse. Et il m'arrivait régulièrement de tomber dans les pommes dans le métro en me rendant au travail. Je partageais mon bureau avec deux garçons et il y en a un, un grand nounours, qui venait gentiment me chercher dans le métro, il me soulevait et me ramenait au boulot. Et bien souvent, il me commandait un taxi et je repartais chez moi. On en avait beaucoup parlé, c’est quelqu'un avec qui je partageais mon quotidien puisqu'on était dans un bureau à trois, deux garçons et moi. Dès que j'avais trop mal au ventre, j'ouvrais mon pantalon et je le disais de manière assez ouverte, parce que c'était une manière pour moi de ne pas y mettre d'importance finalement, et de faire tomber un peu le voile sur tout ça. Donc soit je déboutonnais mon pantalon et on en rigolait, soit quand j'étais vraiment trop douloureuse, je venais en jogging avec ma bouillotte au travail. Et bien souvent, quand je pouvais pas trop me déplacer, c’est-à-dire descendre à la cuisine pour me faire réchauffer un peu d'eau pour ma bouillotte, c'était mon gentil collègue Laurent qui prenait ma bouillotte et qui allait la faire réchauffer à la cuisine. Donc c'était un petit bonheur parce que je savais que j'étais avec quelqu'un de compréhensif à ce niveau-là et qui me posait parfois quelques questions. Et notamment au moment de l'opération en 2017, il a voulu tout comprendre, donc il m’a posé beaucoup, beaucoup, beaucoup de questions ! C'était plutôt chouette de partager ça avec un collègue de travail, parce que c'était tellement quotidien à l'époque et c'était tellement abrasif pour moi, et que ce n'était pas une période très rigolote d’être enfin diagnostiquée, et que tout de suite après, deux mois après, je me sois faite opérer… C'était une opération quand même très lourde. J'avais 30 ans, même pas. Je venais d'être en couple et se faire enlever les deux trompes ce n'était pas anodin dans la vie d'une femme. Forcément, pour moi, ce sera une procréation assistée, ce sera une PMA quoi qu'il arrive si je décide un jour d'avoir un enfant, ça ne sera pas naturel pour moi. 

Je suis rentrée dans la procédure de congélation d’ovocytes. Et j'avais prévenu mes deux boss, qui sont deux femmes, dont une qui avait fait sa congélation et qui était passée par PMA et tout ça… Donc elle comprenait plutôt la situation. J'avais décidé de faire la piqûre au travail. Donc j'amenais ma petite boîte, mes petites seringues, tous mes petits produits et je faisais ma piqûre à 17h. Comme ça, je la faisais au bureau, aux toilettes, ça me prenait cinq minutes et je revenais, je me remettais au travail et je n'y pensais plus. Et au final, avec les garçons, c'était devenu assez rigolo de se dire « Allez Didine, c'est le moment de la piqûre. Baisse ton pantalon, on va y aller ! » Voilà, c'était devenu un moment assez… assez simple, assez facile, et ça m'a permis de ne pas trop intellectualiser le truc et de ne pas y mettre trop d'affect. 

J'espère que je n'ai pas été trop… que je n'ai pas été la collègue horrible à vivre quotidiennement, mais je ne crois pas. On est toujours amis à l'heure actuelle, donc je pense que tout va bien ! 

80%, cinq récits de handicaps invisibles au travail. Un podcast réalisé par Jeanne Robet et produit par l’Ina, avec les départements des ressources humaines d'Arte, France Télévisions et Radio France.