Description

D’où vient ce sentiment diffus, de plus en plus oppressant et de mieux  en mieux partagé, d’un retard généralisé, lui-même renforcé par  l’injonction permanente à s’adapter au rythme des mutations d’un monde  complexe? Comment expliquer cette colonisation progressive du champ  économique, social et politique par le lexique biologique de  l’évolution?
La généalogie de cet impératif nous conduit dans les  années 1930 aux sources d’une pensée politique, puissante et structurée,  qui propose un récit très articulé sur le retard de l’espèce humaine  par rapport à son environnement et sur son avenir. Elle a reçu le nom de  «néolibéralisme» : néo car, contrairement à l’ancien qui comptait sur  la libre régulation du marché pour stabiliser l’ordre des choses, le  nouveau en appelle aux artifices de l’État (droit, éducation, protection  sociale) afin de transformer l’espèce humaine et construire ainsi  artificiellement le marché : une biopolitique en quelque sorte.
Il  ne fait aucun doute pour Walter Lippmann, théoricien américain de ce  nouveau libéralisme, que les masses sont rivées à la stabilité de l’état  social (la stase, en termes biologiques), face aux flux qui les  bousculent. Seul un gouvernement d’experts peut tracer la voie de  l’évolution des sociétés engoncées dans le conservatisme des statuts.  Lippmann se heurte alors à John Dewey, grande figure du pragmatisme  américain, qui, à partir d’un même constat, appelle à mobiliser  l’intelligence collective des publics, à multiplier les initiatives  démocratiques, à inventer par le bas l’avenir collectif.
Un débat  sur une autre interprétation possible du sens de la vie et de ses  évolutions au cœur duquel nous sommes plus que jamais.