Le 1er janvier 2005, Radio Nova démarre l’année avec la pire des gueules de bois. Notre « Tintin post-moderne », Marc-Alexandre Millanvoye, est mort accidentellement au terme d’une nuit de réveillon, à 31 ans. Toute l’équipe est sous le choc, de battre son cœur s’est arrêté. Il faut pourtant reprendre le micro. L’hommage rendu à l’antenne se prolonge sur la piste du Rex, avec des lives de Cosmo Vitelli, Laurent Garnier ou Keren Ann.
Hors Nova, une ambiance étrangement sombre plane sur 2005. De janvier à juin, des comités de soutien travaillent à la libération de Florence Aubenas, journaliste à Libération, et de son guide Hussein Hanoun, séquestrés en Irak – ce que nous raconte la rubrique Deux minutes de réel conçues par Mathilde Serrell, Antoine Blin et Isadora Dartial comme un plan-séquence avec des sons bruts. En mai, Trois enterrements, western crépusculaire de Tommy Lee Jones, remporte le prix du scénario au festival de Cannes. En juin, un môme de 11 ans est tué devant chez lui à la Courneuve (Seine-Saint-Denis) de deux balles perdues. En réaction, Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, affirme vouloir « nettoyer au Karcher la cité des 4000 ». Fin août, l’ouragan Katrina ravage la Louisiane et notamment la Nouvelle-Orléans ; sur place, un rappeur et producteur de rap nommé Kanye West, remarqué pour l’inventivité de son premier album The College Dropout, interpelle George W. Bush à la télévision en considérant que le président américain « ne se préoccupe pas des Noirs ». En octobre, deux adolescents meurent électrocutés dans un transformateur EDF de Clichy-sous-Bois, en tentant de se soustraire à un contrôle de police. L’événement déclenche de très nombreuses émeutes en banlieue, pendant trois semaines, à tel point que le gouvernement proclame l’état d’urgence.
Pourtant, tout n’est pas déprimant – loin de là. On peut tuer les zombies culturels à coups de vinyle dans la gueule, comme à la fin de la comédie anglaise Shaun of the dead. Remonter jusqu’à l’extrême-amont de la motivation, tels les courageux « hordiers » qui font bloc pour avancer à « contrevent » dans le best-seller d’Alain Damasio. Première greffe réussie du visage sur une femme de 38 ans, mordue par un chien. Au même moment, un réalisateur très drôle venu de France Culture, Armel Hemme, nous rejoint et tombe le masque : depuis deux ans déjà, c’était lui, « Brice Lee », reporter du zinc. De son côté, Rémy Kolpa Kopoul découvre une jeune chanteuse cap-verdienne à la voix d’émeraude, Mayra Andrade. Le film Broken Flowers de Jim Jarmush augmente l’intérêt du public pour l’éthio-jazz, ardemment défendu sur nos ondes depuis le milieu des années 80. Coiffé de trois Césars, Abdellatif Kechiche rappelle dans L’Esquive, si besoin, que les jeunes des cités savent charmer en déclamant Marivaux et son jeu de l’amour et du hasard. Lors d’une Nuit Zébrée mythique, les Néo-Zélandais de Fat’s Freddy Drop et leur fanfare dub-reggae-soul mettent les spectateurs en apesanteur. À minuit, pendant deux ans, la voix de synthèse qui présente Home Radio fait de Nova la première antenne FM à proposer des podcasts, en donnant un espace aux créations sonores bizarres. Quand elles sont bien choisies, paroles et mélodies restent inoubliables. Comme le chante Camille sur son deuxième album, Le Fil, qui bourdonne : « Lève-toi c'est décidé / Laisse-moi te remplacer / Je vais prendre ta douleur / Doucement sans faire de bruit / Comme on réveille la pluie / Je vais prendre ta douleur / Elle lutte elle se débat / Mais ne résistera pas / Je vais bloquer l'ascenseur / Saboter l'interrupteur. »
Réalisation, mixage : Benoît Thuault.