Description

Emmanuel Taïeb reçoit les politistes Cédric Passard, co-directeur avec Denis Ramond de De quoi se moque-t-on ? Satire et liberté d’expression (éd. du CNRS, 2021)
et Paul Zawadzki, co-directeur avec Frédéric Gugelot de
Rire sans foi ni loi ? Rire des dieux, rire avec les dieux (Hermann, 2021)

Le pluriel devrait être de mise lorsqu’on parle du rire. Car tout  sépare le rire d’émancipation du rire de mépris; et l’humour inclusif de  celui qui charrie un message de haine. Les sources même du rire sont  innombrables : gravure, dessin de presse, libelle, pamphlet,  marionnettes, vidéos parodiques, chansons détournées ou fausses pubs.  Ses formes aussi : la dérision, le sarcasme, la moquerie. De Daumier à  Cabu, la caricature se confond même historiquement avec la naissance de  la presse et avec la critique des élus.

Parmi les variétés du rire, il y a désormais le rire brisé, celui qui  a été fracassé par les kalachnikovs un matin de janvier 2015, quand la  rédaction de Charlie Hebdo a été assassinée. Il semble depuis qu’un  pacte tacite ait été rompu, et qu’on intime aux dessinateurs et aux  humoristes de ne plus aborder certains thèmes, ou même de se taire. La  dénonciation politique de l’humour, et le tribunal populaire des réseaux  sociaux entendent fabriquer des censures, qui rendent couteux l’usage  de la liberté d’expression. Rire et faire rire est devenu risqué. Un  risque existentiel même. Mais les offensés ne voient le rire qu’au  singulier. Ils ne raisonnent plus qu’en termes de blasphème, de trauma  et d’atteinte à la liberté de croyance. Les offensés sont offensifs, et  les humoristes sont désarmés. A force de dire qu’on ne peut plus rire de  tout, on en arrive à le plus rire du tout.

Ce serait oublier pourtant que le rire et la satire sont éminemment  démocratiques. Ils participent de l’autonomie de la société civile, et  de sa bonne santé critique. Celle qui s’en prend aux gouvernants, aux  religions instituées, aux dogmes et bien sûr aux intégrismes. La  caricature fait peur aux puritains et aux régimes autoritaires, car elle  rappelle que le roi est nu.

C’est précisément cette fonction critique qui nous invite à rire encore et toujours !