Nous avons bien en mémoire les photos de Robert Doisneau montrant des enfants dans les rues de Paris, faisant d’une place ou d’une entrée d’immeuble leur terrain de jeu ; allant faire les courses pour leurs parents et revenant avec une baguette sous le bras. Nous avons en tête l’image du titi parisien et les petits Poulbots aux grands yeux. Dans Les 400 coups, Truffaut filme des collégiens qui font le mur et semblent très à l’aise dans le métro ou dans la grande ville. Plus près de nous, ceux qui ont grandi dans les années 80 descendaient le soir faire un foot avec les copains ou tourner en roller dans le quartier. L’absence de code ou de barrière pour entrer dans les immeubles autorisait des déambulations un peu à l’écart et transformait chaque cour en un petit lieu propice à tous les secrets…
Mais progressivement, la ville a changé et la place des enfants dans l’espace urbain s’est considérablement modifiée. Pour les parents, la ville est devenue menaçante. Trop de voitures, trop de chauffards, trop de jeunes qui tiennent les murs, de trafic de drogues, de SDF, de pédophiles et de kidnappeurs potentiels. Les entrées des immeubles ont été claquemurées, dotées de multiples sas, et la crainte que les enfants ne fassent une « mauvaise rencontre » les a littéralement changés en « enfants d’intérieur » qu’on ne laisse plus trop sortir.
Si la ville est désormais perçue comme hostile par nombre de parents, ils ont pour mission d’y préparer leurs enfants. Car il faut bien qu’ils sortent, qu’ils traversent la rue, qu’ils prennent le métro, et qu’ils anticipent des interactions. La condition de leur autonomie passe par une véritable éducation à la ville, qui à la fois les met en garde et leur donne les clefs d’une vraie liberté urbaine. Mais cette éducation à la ville est socialement située, sociologiquement différenciée, selon la classe sociale des parents, selon leur propre trajectoire, et bien sûr selon la ville. Si à Berlin on peut voir de très jeunes enfants aller seuls à l’école, ce n’est le cas ni à Paris, ni à Milan, sur lesquelles a travaillé Clément Rivière.