Invité : Sylvain Delouvée, qui a co-écrit avec Sebastian Dieguez, Le complotisme - Cognition, culture, société (éd.Mardaga)
Le complotisme est un phénomène protéiforme, plus ancien qu’il n’y paraît. Parce que la figure du citoyen-détective qui découvre une vérité cachée, est une figure qu’on trouve dans la littérature dès le début du 20e siècle. Le complotisme touche en tout cas à la crédulité, à la désinformation, à la psychologie du raisonnement, et voyage : de la terre plate au trafic d’enfants. Le complotisme est composite. Il mute selon les époques et les enjeux. Si son fond antisémite est toujours bien présent, on voit à l’inverse que la passion pour les ovnis, par exemple, est maintenant passée de mode. Aujourd’hui, le complot dénoncé est celui d’élites malfaisantes qui voudraient confisquer le pouvoir, vacciner et contrôler les populations.
Pour autant, le complotisme n’est pas une simple critique des banques ou du capitalisme, car il s’agit avant tout d’un imaginaire particulier. Le complotisme ne sert pas à identifier des complots de manière sérieuse : il sert à décréter qu’il y a un complot, sans avoir besoin d’enquêter plus avant. Les puissances dénoncées sont tellement secrètes qu’on ne les verra jamais. Ce qui compte c’est la théorie du complot elle-même, l’accusation, l’entrée dans un sociabilité parallèle d’initiés. L’accusation de comploter ne disparaît d’ailleurs pas, même des années après avoir été lancée, et même en l’absence de preuves.
Le complotisme a fini par devenir un phénomène propre à la culture de masse. Mais une telle diffusion n’est pas sans effet. Entre ceux qui sont complaisants à l’égard du conspirationnisme et les complotistes bien décidés à passer à l’action, parfois violente, on mesure tout le danger démocratique que peut représenter l’imaginaire du complot.