Emmanuel Taïeb reçoit la critique ciné Juliette Goffart, pour un échange autour de son livre David Fincher, l’obsession du mal (Marest éditeur, 2021).
Seven, Fight Club, The Social Network, Benjamin Button, House of Cards… Toutes ces fictions ont en commun un même cinéaste, David Fincher. Après être passé par les effets spéciaux et par le clip, David Fincher rejoint à Hollywood la petite famille des réalisateurs à succès. Non sans quelques difficultés avec Alien3, son premier film, sur lequel il n’a pas le final cut. Mais dès ce moment, il va réussir à développer une oeuvre singulière, tournant autour de quelques obsessions et quelques figures, comme celles des serial killers. Dans le cinéma de David Fincher, les personnages marquent autant que les ambiances. C’est le propre des films dérangeants que de se déposer longtemps après leur visionnage, et d’être associés à des images fortes, comme cette scène dans le désert à la fin de Seven, ou le visage de Marc Zuckerberg rechargeant indéfiniment sa page Facebook pour voir si la femme qu’il a perdue le demande comme ami. Le réel dysfonctionne chez ce cinéaste. Il semble palpable, mais il se dérobe ; il est un immense faux-semblant, une immense supercherie sortie d’un cerveau malade Fincher met en scène des mises en scène, jamais très loin de Hitchcock, de Brian de Palma, voire de Christopher Nolan. Pour Fincher, doubler la fiction dans la fiction permet d’accéder à un autre pan du réel, celui qui s’agite dans les esprits et celui qui ouvre vers le Mal. C’est cette schizophrénie originelle qui autorise à s’attarder sur les rituels meurtriers et les huis-clos étouffants. C’est ce trouble entre le réel et la fiction, l’exploration de psychés malades qui voient et diffusent des signes partout, qui ont rendu cultes plusieurs de ses films. David Fincher est un obsessionnel du Mal, qu’il filme frontalement, mais dont il montre aussi la dissémination dans une Amérique qui rend fous ceux qui la peuplent.