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N°304 / 2 juillet 2023.

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Une émission de Philippe Meyer, enregistrée au studio l’Arrière-boutique le 30 juin 2023.

Avec cette semaine :

  • Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors.
  • Lucile Schmid, vice-présidente de La Fabrique écologique et membre du comité de rédaction de la revue Esprit
  • Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et président de la fondation Terra Nova.

LA RUSSIE APRÈS LA MARCHE DE WAGNER

La prise de la grande base arrière russe de l'opération militaire en Ukraine, à Rostov-sur-le-Don, par les 5.000 mercenaires du groupe paramilitaire privé Wagner d’Evgueni Prigojine, a été réalisée sans le moindre coup de feu. Le lancement d’un raid armé vers Moscou ne s'est arrêté qu'à 200 kilomètres de la capitale et n'a été entravé par aucune force militaire substantielle. Juste avant de se lancer dans sa marche forcée Prigojine a brisé le tabou du mensonge, révélant que les généraux russes (et donc Poutine) avaient menti sur la guerre, sur les pertes humaines, les territoires reconquis par les Ukrainiens et même sur les buts de guerre, qu’il a déclarés « infondés ».

Construisant son empire médiatique et industriel à visage couvert, niant le moindre lien avec la milice Wagner spécialisée dans la guerre hybride, déployée là où la Russie défend ses intérêts sans vouloir apparaître - Ukraine, Syrie, Libye, République centrafricaine, Mali - Progojine n’a reconnu en être le créateur qu’en septembre 2022. Après l’avoir utilisé, puis l'avoir laissé recruter des prisonniers de droit commun ayant commis des crimes de sang, sans la moindre base légale, l'armée russe a interdit ces pratiques pour les reprendre à son compte. Une compétition avec Wagner s'est ensuite engagée, alors même que les deux forces faisaient face à la contre-offensive ukrainienne. Tandis que Prigojine insultait le commandement militaire russe pour son incompétence et appelait à sa démission, ses troupes ont été privées de vivres et de munitions. L’armée russe a demandé à intégrer la milice. L’incursion des groupes armés en provenance d’Ukraine dans la région de Belgorod, l’attaque de drones à Moscou puis l’avancée de Wagner vers la capitale ont posé la question de la capacité de l’Etat russe à défendre son territoire. Cependant, l’élite politique a fait corps : toute la journée du samedi, députés, gouverneurs ou élus locaux ont diffusé des messages de soutien au président.

Lundi, sans le nommer, Vladimir Poutine a qualifié Evgueni Prigojine de « traître » − une désignation qui vaut en théorie condamnation à mort. Au lieu de cela, dans la soirée le chef du Kremlin a offert à Prigojine des garanties de sécurité. Il a réaffirmé que ces combattants - ayant joué un rôle essentiel dans la guerre en Ukraine - ne feraient l'objet d'aucune poursuite. Ils pourront, au choix, signer un contrat avec le ministère de la Défense pour intégrer l'armée régulière russe, rentrer chez eux, ou rejoindre la Biélorussie, où doit s'exiler Prigojine. Lundi, l’homme d’affaires a réaffirmé que le but de sa « marche » n’était pas « la prise du pouvoir », mais seulement « d’empêcher le démantèlement » de Wagner. Certes, il « regrette » la mort de militaires russes. Mais M. Prigojine continue de se présenter en chef du groupe et assure qu’Alexandre Loukachenko, le président de la Biélorussie, lui aurait proposé une solution permettant « la poursuite du travail dans un cadre légal ». Lundi, le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a assuré que la société allait « poursuivre » son travail en Afrique et ailleurs.

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MAYOTTE

A Mayotte, 101e département français, marqué par de récurrents épisodes de violences et de tensions sociales, l'opération Wuambushu ("reprise en main") a été lancée le 24 avril. Il s’agit selon le ministre de l’Intérieur et des outre-mer de lutter contre la délinquance et l’insécurité, en détruisant certains bidonvilles et en expulsant des étrangers en situation irrégulière, principalement des Comoriens. Les autorités ont l'intention d'expulser entre 10.000 et 20.000 sans-papiers : Mayotte compte 310.000 habitants, dont on estime que la moitié sont étrangers. L’opération s’est rapidement heurtée à deux obstacles majeurs : le refus des Comores voisines d'accueillir leurs ressortissants expulsés, et les multiples recours judiciaires déposés par des familles de clandestins. Dès le deuxième jour, l'opération était suspendue par le tribunal judiciairequi considérait la démolition des bidonvilles « illégale », avant que le tribunal administratif de Mayotte ne tranche finalement en faveur de l'État. Plus de 400 policiers et gendarmes supplémentaires sont sur l'île, portant à 1.800 les effectifs des forces de l'ordre présents sur place.

Malgré la multiplication des « plans » pour Mayotte, les services publics dans l’île sont en déshérence : pas assez d’écoles pour scolariser tous les enfants (6.000 à 7.000 enfants sont déscolarisés) ; peu d’accès à la santé, et un manque flagrant de personnels soignants ; l’accès à l’eau potable est une problématique majeure marquée par des coupures d’eau quatre fois par semaine. La situation de mal-logement est massive : 57 % des ménages vivent en surpeuplement, 40 % des logements sont en tôle, 30 % des logements ne sont pas raccordés à l’eau, 10 % n’ont pas l’électricité. « Musulmane à 95 % », Mayotte a voté à 59,10 % pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2022.

Les 24 et 25 juin, deux mois après le début de l’opération, le ministre de l’intérieur a effectué un déplacement pour défendre un premier bilan de l’opération soutenue localement, mais dénoncée par plusieurs associations, dont la Cimade et Médecins du monde, comme « tout sécuritaire ». Gérald Darmanin a précisé que l'intervention sera rallongée de « plus d'un mois » puis qu'un « deuxième type d'opération » débuterait en septembre, ciblant, par des procédures judiciaires, l'agriculture et la pêche illégales, ainsi que les marchands de sommeil. Il a affirmé qu'en deux mois, « les violences contre les personnes ont été réduites de 22 % » et les cambriolages, vols et atteintes aux biens, « de 28 % », revendiquant aussi avoir « divisé par trois le flux entrant de clandestins ». Le dernier objectif de « Wuambushu », la lutte contre la criminalité, pose des problèmes de surpopulation carcérale : dans l'unique prison de l'île le taux d'occupation est passé à 230 %. La construction d’une nouvelle prison et d’un nouveau centre de rétention est envisagée, mais aucun terrain n’a encore été identifié pour les bâtir. Le ministre a promis de « revenir en septembre prochain »


Chaque semaine, Philippe Meyer anime une conversation d’analyse politique, argumentée et courtoise, sur des thèmes nationaux et internationaux liés à l’actualité. Pour en savoir plus : www.lenouvelespritpublic.fr