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LES SYRIENS ENTRE LE MARTEAU ET L’ENCLUME

 

 

 

Le 27 février, des bombes russes ont tué au moins 33 soldats turcs à Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, marquant une escalade dans les combats qui opposent depuis 2016 la rébellion syrienne soutenue par la Turquie aux forces loyalistes de Bachar Al-Assad appuyées par l’aviation russe. 

Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est tourné vers ses alliés occidentaux, alternant appels à l’aide et menaces. Le Conseil de l’Alliance atlantique s’est contenté d’exprimer « ses sincères condoléances » à la Turquie et les alliés ont critiqué le cavalier seul d’Ankara et son offensive en Syrie. L’Otan avait été mise devant le fait accompli lorsqu’Ankara avait visé les milices kurdes en Syrie, celles qui ont combattu avec les Occidentaux les groupes jihadistes au Levant.

En annonçant, le 27 février, l’ouverture de sa frontière occidentale avec la Grèce, Ankara a non seulement donné implicitement le signal de la ruée vers l’Europe aux 3,6 millions de réfugiés du conflit syrien déjà présents en Turquie, mais brandi la menace d’en faire éventuellement de même pour les 900 000 personnes qui, fuyant Idlib, se massent aux abords de la frontière turque. Un exode que l’ONU qualifie de plus grand drame humanitaire du moment. 

​Ces menaces n’ont pas abouti à ranger l’Union Européenne aux côtés de la Turquie dans son affrontement avec la Russie, et l’installation à Idlib d’une division mécanisée turque n’a pas fait plier Vladimir Poutine. Les deux présidents se sont rencontrés à Moscou et ont, selon les termes de Vladimir Poutine, pris des décisions conjointes qui devraient aider à mettre un terme aux combats, tandis que Recep Tayyip Erdogan affirmait que son pays riposterait «de toutes ses forces » à toute attaque du régime syrien. 

En 2016 la Turquie s’était engagée à héberger les réfugiés en échange d’une aide européenne de six milliards d’euros (dont un peu plus de la moitié a été versée). La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est rendue le 3 mars en Grèce à la frontière terrestre avec la Turquie. Elle promet 700 millions d’euros à Athènes pour que la Grèce maîtrise ses frontières. Le  haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borell a promis à Ankara une aide d’urgence de 170 millions d’euros pour faire face à la situation humanitaire.

Les dirigeants russe et turc sont convenus de mettre en place un « corridorde sécurité » de six kilomètres de part et d’autre de l’axe stratégique traversant la région d’Idlib, et de mener à partir du 15 mars des patrouilles conjointes. Russes et Turcs ont aussi assuré qu’ils feraient en sorte que l’aide humanitaire parvienne aux personnes déplacées.


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49.3, LA FIÈVRE MONTE


 

Samedi 29 février au soir, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé à l’Assemblée nationale qu’il recourrait à l’article 49.3 pour adopter la réforme des retraites. Une décision formellement actée le matin à l’occasion d’un Conseil des ministres convoqué sur le coronavirus. Gauche et droite ont dénoncéce recours au 49.3 : « Coup de force du gouvernement » pour le communiste Fabien Roussel, « pulsions totalitaires » d’Emmanuel Macron pour le chef des Insoumis Jean-Luc Mélenchon, « pire des solutions », pour l’Ecologiste Yannick Jadot, « cynisme le plus total » pour le patron des députés Les Républicains Damien Abad. L’opposition a déposé deux motions de censure, la première par Les Républicains, la seconde par le Parti socialiste, le Parti communiste et La France insoumise. Motions rejetées dans la nuit de mardi à mercredi.

A peine le recours au 49.3 annoncé samedi soir, des rassemblements militants se sont organisés, à Paris devant le Palais Bourbon, et dans plusieurs grandes villes de province. En signe de protestation deux députés macronistesont claqué la porte et un sénateur a également annoncé qu’il abandonnait La République en Marche.

Les syndicats opposant à la réforme ont appelé à de nouvellesmobilisations. Mardi quelques milliers de personnes ont défilé à Paris (20 000 selon les syndicats) contre le gouvernement, comme à Lille, Rennes, Marseille, Bordeaux ou Dijon.

Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, le 49.3 « ne tue pas le débat, mais l’obstruction » : 41 000 amendements ont été déposés, en grande partie par La France insoumise. Après 115 heures d’une discussion quasiment non-stop jour et nuit, les députés étaient seulement parvenus à la lecture de l’article 8 du projet de loi qui en compte 65. Plus de 29 000 amendements restaient à examiner.

Depuis 1958, l’article 49.3 de la Constitution a été utilisé 89 fois : 56 fois par la gauche, 32 fois par la droite et une fois sous Emmanuel Macron. Avec un record de 28 recours par Michel Rocard. Plusieurs textes symboliques comme l’arme nucléaire, la CSG, la loi Savary ont ainsi été adoptés.

Le projet de loi sera présenté dans les prochaines semaines au Sénat, où des débats auront lieu puisque le 49.3 n’y est pas applicable. Il reviendra à l’Assemblée en seconde lecture. Le gouvernement aura alors le choix de laisser les députés débattre ou, une nouvelle fois, de passer en force. A l’issue, le textesera transmis au Conseil constitutionnel.



Chaque semaine, Philippe Meyer anime une conversation d’analyse politique, argumentée et courtoise, sur des thèmes nationaux et internationaux liés à l’actualité. Pour en savoir plus : www.lenouvelespritpublic.fr