Description

Marianne  a du souci à se faire. Elle est en proie à un harcèlement de plus en  plus intense et systématique qui relève du viol et de la maltraitance.

Longtemps la fonction publique a  été tournée vers les autres et vers l’intérêt général, c’est à dire vers  nous-mêmes. Elle procédait d’une religion républicaine et des écoles ou  des instituts de formation aujourd’hui décriés ou disparus formaient  des templiers et des templières du service public obsédés par autrui.  Mais certains adeptes de l’ultralibéralisme ont dévalorisé la fonction  publique après l’avoir décriée, dépréciée, vilipendée. Les salaires n’y  ont pas seulement été arrasés par la stagnation du point de la fonction  publique ou par l’inflation. Ils y ont été pulvérisés, alignés sur le  SMIC comme ce fut le cas des gardiens de prisons qui en 20 ans sont  passés de 1,5 fois le SMIC au SMIC tout nu, ou celui des enseignants qui  sont passés de 2,5 fois le SMIC à 1,5 fois le SMIC. Trop d’entre nous  et trop de nos élus ont un double langage qui s’intensifie. Il y a ce  que nous affichons, une compassion plus ou moins sincère et toujours  populiste. Il y a ce que nous faisons, ou plutôt ce nous défaisons avec  une insondable hypocrisie, un incroyable cynisme. Les salaires des  recrutés dans la fonction publique n’ont pas seulement stagné. Ils ont  gravement régressé. L’inflation générale ne fait à présent que prendre  la relève de l’augmentation du coût du logement et du coût des  transports. Beaucoup d’agents de la fonction publique sont aujourd’hui  des salariés du privé avec des statuts précaires. Disparue la garantie  d’emploi qui dissuadait de la corruption et qui avait cependant pour  défaut de transformer certains fonctionnaires en cerbères inamovibles.

Dans quel monde voulons-nous  vivre ? Dans un monde déshumanisé où la fonction publique ne serait  tournée vers personne et qui n’attirerait plus que des personnels  démotivés cherchant à fuir le chômage ? Dans un tiers monde  administratif dont les corps d’inspection auraient disparu au point  qu’il ne s’inspecterait plus lui-même ? Dans une fonction publique sans  statut national, pulvérisée départementalisée et médiévalisée sous  couvert de décentralisation, de déconcentration et de régionalisation ? A  l’heure où la cohérence européenne pourtant indispensable a bien du mal  à s’installer, la cohérence nationale se délite alors même que les deux  cohérences devraient entrer en synergie.

Nous sommes des apprentis  sorciers, des adeptes du bowling qui jouent aux quilles avec la fonction  publique en accumulant les « strike ». Nous avons un côté  « terminator » et nos missiles sont comparables à ceux de Poutine : ils  n’engendrent que des ruines. Ils font l’impasse sur l’ADN de la  république comme sur celui de ses administrations et de ses grandes  entreprises publiques pour la plupart privatisées. La République est en  danger parce que sa fonction publique est menacée. Elle tient  aujourd’hui d’une peau de chagrin. On connait depuis longtemps les  paradis fiscaux. Ils ne faisaient sans doute qu’annoncer le triomphe des  républiques financières qui procèdent du totalitarisme des puissances  de l’argent et des fonds de pension et qui imposent une fausse liberté  qui fait l’impasse sur l’égalité comme sur la fraternité. Marianne est  comme le timbre rouge : elle se virtualise. Puisse-t-elle ne pas  s’effacer après s’être estompée.

Jean-Pierre Guéno