Le lien du repas
Tous les grands moments de communion de la vie humaine se terminent par un repas : baptêmes, communions, unions, enterrements. Sans parler des dîners d’adieu dont le plus célèbre fut celui de la Cène, réunissant les douze apôtres autour du Christ dans toutes les religions chrétiennes. Mais il arrive que ces repas n’engendrent pour dessert que drames et zizanie sous l’effet désinhibant de l’alcool.
Les élections pourraient relever de la Cène et non de la scène de ménage. Les prétendants au suffrage universel pourraient y prétendre partager le pain et le sang de la vie au lieu de nationaliser le premier et de verser le second. Au terme de la Cène, le Christ délivre à ses disciples un 11ème commandement : « Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » aux antipodes de celui des candidats qui pourrait être « Haïssez-vous les uns les autres, comme je vous ai détestés, haïssez-vous les uns les autres ». Le candidat imprécateur que l’on sait risque de nous faire en réalité sortir de l’ère Chrétienne parce qu’il est un prêcheur de haine. La force du 11ème commandement du Christ, c’est qu’il remet en question les deux premiers commandements de son père qui sont ceux d’un Dieu autoritaire et jaloux, d’un dieu qui punit au lieu de pardonner, d’un Dieu orgueilleux qui accorde trop de place à la vengeance et au châtiment.
Dès le Moyen Âge , il y a seize siècles, la Cène a fait l’objet d’un pastiche qui tourne en dérision la cène originelle : La Cène de Cyprien.
Dieu, le roi Joël, y donne un banquet grandiose en l’honneur de son fils. On y retrouve les principaux personnages de l’Ancien et du Nouveau Testament, depuis Adam et Eve jusqu’à Jésus-Christ. Les sièges qu’ils occupent rappellent un épisode de leur vie. Ainsi, Adam prend place au centre, Ève s’assoit sur une feuille de vigne, Abel sur une cruche de lait, Caïn sur une charrue, Noé sur son arche, Absalon sur des rameaux, Judas sur une cassette d’argent. On sert à Jésus du vin aux raisins secs qui porte le nom de “passus“, parce qu’il a connu “la Passion“. Après la première partie du banquet antique, Pilate passe les rince-doigts, Marthe fait le service ; David joue de la harpe, Hérodiade danse, Judas embrasse tout le monde ; Pierre, qui s’endort, est réveillé par un coq. On mange, on boit, on discute, on s’échauffe, on se bagarre. Le dîner tourne à la rixe. Dans le tumulte, des objets sont dérobés, on se traite mutuellement de voleur, et à la fin on désigne un bouc émissaire que l’on va mettre à mort pour expier les péchés. C’est Agar qui est choisie, la servante de Sarah, la concubine d’Abraham, et la mère d’Ismaël. Son sacrifice sauve la compagnie, et on lui fait des funérailles solennelles. On comprend le rôle que la farce qui tourne souvent en tragédie a joué dans les origines du théâtre et pourquoi des comédiens furent excommuniés dès le concile de Carthage, en 398 après JC.
Toutes les religions du monde ont un jour évoqué le nom de Dieu pour faire le mal, ne serait-ce qu’en se retournant les unes contre les autres. Les hommes libres sont ceux qui se libèrent de l’esclavage par l’amour de l’autre et en mettant fin à la tyrannie de leur Ego.