Alexandre Grandazzi a 65 ans. Primé au concours général, khâgneux au lycée Louis le Grand, il est un ancien élève de l'école normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé de Lettres, ancien membre de l'école française de Rome, ancien pensionnaire reçu premier de la Fondation Thiers, lauréat du prix Bordin décerné par l'Institut et professeur des universités. Il est archéologue spécialiste des langues anciennes et spécialiste de l'antiquité romaine. A ses yeux, les différentes approches – littéraire, historique, archéologique, et aussi anthropologique – doivent être menées complémentairement si on veut avoir une petite chance de saisir toute la richesse et la complexité des textes antiques. C'est la raison pour laquelle il est simultanément professeur, philologue étudiant les textes anciens, historien et archéologue plus encore des textes et du papier que du terrain. Il a consacré sa thèse soutenue sous la direction de Pierre Grimmal à « Albe la longue », ancienne ville du Latium en Italie centrale, à 19 km au sud-est de Rome, dans les monts Albains, cette cité d'où seraient venus les jumeaux fondateurs de Rome. Il a succédé succédé au légendaire Pierre Grimmal qui a dirigé pendant 30 ans le mythique département d'études latines de la Sorbonne. Il a pris, il y a 4 ans, la direction du département des études latines de la Faculté des Lettres de la Sorbonne (dite maintenant "Sorbonne Université"), ainsi que celle d'une équipe (on dit maintenant "unité") de recherches, nommée EDITTA (pour Edition, Interprétation, Traduction de Textes Anciens). Il semble avoir toujours suivi sa grande leçon : il n'a jamais confondu le raisonnement et le mythe et sans voiler la poésie du mythe et de l'imagination il a toujours choisie la voie du raisonnement. Après la découverte du pomoerium, le «sillon sacré» tracé par Romulus et qui permettra d'élever, un peu plus tard, un premier mur d'enceinte autour de la colline, il a déclaré que «Romulus n'avait probablement jamais existé mais, avec la découverte du sillon, nous ne pouvions que conclure à l'historicité d'un moment "romuléen"».
Il faut rajouter à tout cela qu'il est membre de la Commission générale d'enrichissement de la langue française ce qui prouve qu'il n'est pas seulement doué pour redonner vie aux langues anciennes.
Il déclare avoir toujours eu « le sentiment esthétique du passé ». L'admiration est son moteur. Son goût pour le latin et sa merveilleuse littérature l'a finalement aiguillé vers l'Antiquité, après qu'il ait été très tenté par la période moderne (XVII-XIXèmes siècles).
Il a vécu trois ans à Rome en tant que membre de l'école française de Rome qui est un institut français de recherche en histoire, en archéologie et en sciences humaines et sociales, placée sous la tutelle de l'Académie des inscriptions et belles-lettres une école française à l'étranger qui dépend du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Ne voulant pas travailler de façon stérile, il a toujours voulu faire du neuf et cette volonté a fait de lui un historiographe, c'est-à-dire un étudiant, un analyste permanent de l'érudition du passé et des trouvailles de ses prédécesseurs qui lui permet de les remettre en question.
Pour cela vous il a fait feu de tout bois : le décloisonnement scientifique est pour lui une absolue nécessité : il combine les disciplines : littérature, histoire, géographie, géologie, linguistique, anthropologie histoire des religions, mythographie...
Son dernier ouvrage Urbs Histoire de la ville de Rome des origines à la mort d'Auguste publié en 2017 chez Perrin et qui a reçu le prix Chateaubriand est une biographie dont Rome est le personnage principal, un « personnage collectif ». Le roman vrai d'une ville-monde. Il s'agit à mes yeux et jusqu'à nouvel ordre du chef d'œuvre de sa vie. Là où l'on s'étend habituellement sur la légende de la naissance et du rayonnement de l'empire de Rome, il analyse la gestation et le développement urbain d'une cité. Il déroule l'histoire romaine intra-muros en constatant qu'à Rome, chaque événement extérieur a une répercussion monumentale à l'intérieur de l'espace urbain. Toute l'histoire de Rome se retrouve à l'intérieur de ses 700 hectares d'espace urbain. On est dans l'histoire de l'urbanisme. Son travail est monumental et minutieux, tout en fines couches successives, un travail d'archéologue et de biographe au pinceau souffleur. Il a choisi le mode de la narration au présent dans un style clair et jamais jargonneux. Il fait de Rome une personne. Il ne résume jamais les siècles de la gestation et des étapes de la métamorphose d'une ville, au mythe de sa naissance et d'un coup fondateur.
Son livre rappelle que le surplomb du Capitole, au-dessus de l'ile Tibérine et du gué permettant de franchir le Tibre avant qu'il n'existe un pont, commença même à être occupé à partir du XVIIe siècle avant notre ère. Son livre rappelle que la ville a vu le jour sur la route du sel. Son livre rappelle que les Romains ont considéré la soudaine métamorphose de l'hypercentre de Rome au 8ème siècle avant JC comme la fondation même de Rome. Son livre rappelle que depuis l'agrégat de villages constitué par les premières huttes bâties au VIIIe siècle avant notre ère, siècle après siècle, victoire après victoire, les Romains ont inscrit le déroulement de leurs conquêtes dans l'espace de leur cité, devenue ainsi comme le mémorial de pierre où ils pouvaient lire leur histoire et célébrer une identité collective à la fois conquérante et assimilatrice. C'est ce message qu'il s'attache à déchiffrer avec toutes les ressources offertes aujourd'hui par la science. " une histoire où les événements se traduisent en monuments, et où les monuments sont autant d'événements".
Ce qui est agréable avec Alexandre Grandazzi, c'est qu'il n'hésite pas à avouer qu'il a pu lui arriver de se tromper : il avait ainsi écrit, il y a 25 ans, que le sac et l'incendie de Rome par le peuple gaulois en 390 avant JC était un mythe alors qu'il correspondait à la réalité.
La lecture de son livre m'a procuré la sensation qui avait été la mienne lorsque j'ai travaillé sur les plus beaux manuscrits de Victor Hugo. Le sensation de côtoyer un homme fleuve capable d'abattre un travail considérable. Une sorte de vertige devant le fruit de 10 ans de travail acharné. Alexandre Grandazzi a atteint son objectif : il a su rendre le mot « urbanisme » à l'Urbs et son livre est une incitation à réfléchir sur l'avenir des villes monde qui nous hébergent en ce début de 3ème millénaire...