L’adn du « Tout à l’Ego » et de la mortification.
Le 20 juin 2021, jour d’élections en France, a été à trois jours près « l’anniversaire du premier anniversaire » de l’Armistice de 1940 tristement célébré par le Maréchal Pétain le 17 juin 1941. Le culte du moi, la naissance du « Tout à l’Ego » n’est pas tant à rechercher au cœur des 30 glorieuses, dans une société de consommation émancipatrice qui aurait libéré les forces égocentrées des individus ainsi que les prolégomènes de l’hyper-narcissisme. Ce culte semble être né 15 à 20 ans plus tôt, dès juin 1940, quand un homme vieillissant a fait table rase de toutes les valeurs d’altruisme qui étaient celles de la République en colonisant ce que d’autres récupéreront beaucoup plus tard et qui dépasse en réalité le ridicule : « L’esprit français », tarterie « cocorico cocardière » digne du slogan des années 70 : « En France on a pas de pétrole mais on a des idées ». La « révolution nationale » a été une révolution stérile, mort-née, une révolution au souffle fétide, ou encore sans souffle à l’image de celle que nous avions cru pouvoir espérer en 2017. Quand la devise « Travail Famille Patrie » a remplacé pour une nuit de quatre longues années celle de la République, chaque français a été inviter à se replier vers sa petite personne, vers son petit cercle, vers son petit environnement. Plus question de Liberté, d’Egalité, de Fraternité. Trois forteresses « Mon travail, ma famille, ma patrie », excluaient tout ce qui échappait à leurs trois périmètres. Au même moment, un autre homme disait non au risque de tout perdre, et perdit alors provisoirement dans la disgrâce administrée par le Maréchal Pétain son travail, son grade de militaire, et ses biens, sa famille et sa mère – puisque sa condamnation à mort contribua certainement à catalyser la maladie de sa mère – et sa patrie lorsqu’il fut déchu de sa nationalité. A partir de Juin 1940, Philippe Pétain a cherché à néantiser Charles de Gaulle comme il a cherché à neutraliser l’altruisme de chaque français. Son appel du 17 juin 1940 est un appel à cesser le combat. Il n’a qu’un effet bénéfique : il transforme Charles de Gaulle en coureur de fond après le top départ du 18 juin. Le 20 juin le maréchal récidive en culpabilisant les français « Depuis la victoire, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur. ». Le 21 juin, il enfonce le clou : « C’est vers l’avenir que désormais nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence. » “C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie. » Ce « redressement moral » lui a fait cautionner et renforcer des mesures de discrimination contre les juifs qui ont contribué à l’accomplissement de la Shoah. Six jours après avoir serré la main d’Hitler, il plébiscite le 30 octobre 1940 un « Nouvel ordre Européen ». En 1941, l’année des première rafles de juifs, il continue à dénoncer « l’ancien régime » en désignant des boucs émissaires : «Maçonnerie, partis politiques dépourvus de clientèle mais assoiffés de revanche, fonctionnaires attachés à un ordre dont ils étaient les bénéficiaires et les maîtres, ou ceux qui ont subordonné les intérêts de la patrie à ceux de l’étranger » . Il dénonce à la radio le vent mauvais de tout ce qui lui résiste, désigne les ennemis à abattre et définit son concept de l’autorité. « Un long délai sera nécessaire pour vaincre la résistance de tous ces adversaires de l’ordre nouveau, mais il nous faut, dès à présent, briser leurs entreprises, en décimant les chefs. » “L’autorité ne vient plus d’en bas ; elle est proprement celle que je confie ou que je délègue.” « Le premier devoir de tous les Français est d’avoir confiance» disait le Maréchal autant anesthésiste qu’hypnotiseur, à l’exemple du serpent du livre de la Jungle. Un vent mauvais souffle à nouveau, issu des quatre années de nuit vécues par la France entre 1940 et 1944. Il reste celui qu’il était déjà il y a 81 ans : celui du grand renoncement. Celui qui fait de chaque être humain l’ennemi de chaque être humain. Le 17 juin 1941, lorsqu’il célèbre le premier anniversaire de l’Armistice, l’odieux maréchal délivre le message persistant de ses héritiers spirituels, celui qui nous pousse à nous mortifier en mortifiant les autres. « Vous souffrez et vous souffrirez longtemps encore, car nous n’avons pas fini de payer toutes nos fautes ». Puissions-nous ne pas expier nos renoncements, nos démissions et nos abstentions à partir du mois d’avril 2022.
Jean-Pierre Guéno.