Après les starting-blocks de l'ouverture, Cannes entre dans le vif du sujet, avec les lancements successifs de la compétition et des deux principales sections parallèles, La Semaine de la critique et La Quinzaine des cinéastes. Étonnamment, généralement étanches les unes aux autres, elles conversent indirectement cette année via le thème commun d'une crise d'identité.
Coté compétition, Diamant brut s'empare de celle d'une jeune femme d'aujourd'hui, happée par les promesses de célébrité des émissions de télé-réalité. L'ambition de Liane ne tient qu'aux likes qu'elle récolte sur les réseaux sociaux et à un casting pour un show façon Les Marseillais à Miami. À travers elle, Agathe Riedinger infiltre la culture bimbo, cette hyperféminité assumant crop tops et seins refaits. Diamant brut surprend en refusant la superficialité des reportages sur les néo-cagoles qui scrollent sur TikTok ou Instagram. Riedinger déplace la question sur celle des transfuges de classes à l'heure où l'échelon suprême social serait de devenir une influenceuse. Proche d'un cinéma anglais dans sa compassion pour ses personnages ou son naturalisme, Diamant Brut sait envoyer valser le misérabilisme ou la démagogie, pour se faire récit d'émancipation contemporain. Dommage que le ventre mou du scénario ralentisse un film courageux dans sa manière de tailler les facettes d'une époque de plus en plus basée sur le paraître.
À La semaine de la critique, Les fantômes ravive la tragédie du peuple syrien. La traque en France d'un tortionnaire par un réfugié passé entre ses mains dans les geôles de Bachar El Assad se fait bourreau des légendes, en dissimulant dans un récit d'espionnage l'impossible reconstruction psychologique de tout exilé. Rescapé de la répression, hanté par sa fuite forcée, le premier long métrage de Jonathan Millet doit beaucoup à Adam Bessa, acteur très impressionnant en bloc de douleur collective. Malgré tout freiné par une mise en scène restant, à l'inverse de son personnage central, en sur-contrôle, brillante de maîtrise, mais qui étouffe toute possibilité d'empathie avec lui et anesthésie ses cicatrices physiques et mentales.
Enfin, La Quinzaine des cinéastes fait le pari casse-gueule de faire naître son édition avec un avis de décès. Sophie Fillières est morte avant d'avoir pu finir de monter Ma vie, Ma gueule. La quête d'équilibre d'une quinquagénaire dépressive prend forcément des airs d'évocation de la réalisatrice. Un film attachant quand elle amène son quasi-double fictionnel vers une reconquête de soi, bouleversant dans une dernière partie où cette mère décide littéralement de rester à quai, de laisser ses enfants partir faire leurs vies loin d'elle. Transcendé par une Agnès Jaoui parfaite en femme en vrac ramassant peu à peu ses morceaux, cet involontaire opus posthume est d'une belle tristesse, car éloge funèbre le plus vivant qui soit.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.