Description

Un des rituels du festival de Cannes est la déclaration préalable de Thierry Frémaux, son délégué général, avec une immuable parole : ce sont les films qui définissent le fond de l'édition en se faisant un écho du monde et non une ligne éditoriale prédéfinie. 

À mi-parcours du cru 2024, il est évident que, pour aussi différent qu'ils soient, ils se retrouvent dans un reflet du chaos généralisé du moment. Certains, pour ne pas dire la quasi-totalité des films de la compétition présentés jusque-là, sous des formes improbables et souvent confuses. D'autres en prenant à ras le corps des interrogations contemporaines.

Emilia Perez, le nouveau Jacques Audiard, embrasse rien que par son pitch le bordel ambiant. Soit une comédie musicale sur le boss d'un cartel de narcotrafiquants mexicains qui veut changer de sexe, le tout sur des chansons signées Camille. Brillant en ce qui concerne la mise en scène autour de la question du genre, Emilia Perez l'est bien moins en ce qui concerne l'approche des cinémas de genre, surtout dans une dernière partie se pliant à la fois aux codes de la télénovela et du film d'action. Le discours féministe progressiste devient alors inaudible, envoyé dans le décor par ce virage vers un cinéma beaucoup plus banal. 

Si Les femmes au balcon, seconde réalisation de l'actrice Noémie Merlant, s'engouffre lui aussi dans de multiples registres, de la franche comédie au gore en passant par le film de fantômes, il ne dévie jamais de son propos autour des violences sexistes et sexuelles. Mieux : il le revendique via une bande de copines se retrouvant avec le cadavre d'un homme sur les bras. Les femmes au balcon n'a de cesse de marcher hors des clous pour mieux les enfoncer. Merlantn'y a peur de rien, et certainement pas de s'emparer de tous les tabous autour de la représentation du féminin à l'écran, de la nudité ultra-frontale à la sexualité assumée en passant par la charge mentale ou le consentement. Merlant et ses formidables colocs, Soueilha Yacoub et Sanda Codreanu, osent avec naturel jusqu'à d'hilarantes blagues prouteuses, toutes les transgressions pour une ode à la sororité. Les femmes au Balcon annoncent avec ce film débridé qu'un vent est en train de se lever, avec avis de tempête pour le patriarcat. Que Merlant le fasse avec une humeur aussi volontariste que joyeuse et généreuse ne le rend que plus enthousiasmant. À l'inverse, il y a de quoi se dire que la cause n'est pas gagnée quand Les femmes au balcon est relégué par Thierry Frémaux en séance de minuit, là où la mèche de cette ultra-jouissive bombe comique aurait mérité d'être allumée en plein jour. 

Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.

Photo : Les femmes au balcon, 2024