À 24 heures du palmarès, les bookmakers de festival sont en berne. C'est un vrai pari de pronostiquer qui repartira de la croisette avec la Palme d'or dans ses bagages. Au minimum parce qu'il reste encore deux candidats à être montrés, La plus belle des marchandises, le dessin animé signé Michel Hazanavicius et La graine de la figue sacrée de l'Iranien Mohammad Rasoulof. Encore plus quand aucun film de la compétition n'a jusque-là pleinement fait l'unanimité.
Toutefois, un grand gagnant peut d'ores et déjà être annoncé : l'industrie de la mode.
La relation entre les grands groupes et le festival n'est pas nouvelle. Depuis que la fameuse montée des marches sur tapis rouge a été inventée, celle-ci est un showroom à ciel ouvert pour les grands couturiers, qui en retour y trouvent le catwalk le plus médiatisé au monde. Cannes y trouve son compte par une présence strass et paillettes dans toutes les gazettes de la planète. Mais ce rapport win-win prend cette année une nouvelle dimension.
Après une première étape l'an dernier en accompagnant le moyen-métrage de Pedro Almodóvar en tant que producteur, Saint-Laurent est pleinement passé de l'autre côté des marches en finançant cette année trois films de la compétition, ceux de David Cronenberg, Jacques Audiard et Paolo Sorrentino. Une étape fondamentale autant pour Cannes que pour le monde du cinéma, où l'industrie du luxe est de plus prégnante. En plus des filiales de production, jusqu'à CAA, une des agences hollywoodiennes les plus puissantes, a récemment été rachetée par François-Henri Pinault, le patron du groupe Kering auquel appartient Saint-Laurent.
À ce stade, il est inquiétant que la mode finance ce type de cinéma, parce que cela signifie à quel point des auteurs comme Audiard ou Cronenberg et d'autres ne parviennent plus à trouver de financements traditionnels, même si cela leur permet de continuer à faire des films. Mais il faudra scruter de près l'évolution rapide de ce phénomène -on pourrait tout autant mentionner l'importante présence financière de Chanel dans le budget de certains festivals nouvellement créés. D'autant plus quand une riposte ne serait tarder de la part de LVMH, qui vient créer 22 Montaigne entertainment, dédiée, elle aussi, à la production. Il n'est donc pas impossible que dès 2025 à Cannes, on regarde des films sous cette bannière… Jusqu'à faire de la compétition un porte-manteau de ces groupes ? On préfèrerait y découvrir, dans quelques années, un thriller économique qui raconterait les coulisses de leur nouvelle rivalité.
Photo : L’équipe du nouveau film d’Almodóvar, Extraña Forma de Vida, avec Anthony Vaccarello, producteur et directeur artistique d’Yves Saint-Laurent, à Cannes en 2023. Patricia DE MELO MOREIRA, AFP.