Chroniques d'Avignon

Chaque jour, une courte chronique invite l'auditeur à se rendre, le jour même, à l'un des spectacles proposé par le programme "in" du Festival d'Avignon. Choix arbitraire, bien sûr, puisqu'il s'agit de raconter à l'avance pourquoi aller voir telle ou telle pièce. Un pari sur l'avenir... mais aussi une confiance accordée au directeur du festival, pour sa programmation de l'année.

Comme chaque année, ces chroniques sont dédiées au festival d'Avignon "in" et rédigées AVANT le spectacle du soir. Notons aussi que pour cette 78e édition, il y a non pas une personne, ou un pays comme invité spécial, mais une langue : l'espagnol. Alors commençons ce soir dans la Cour d'honneur du Palais des papes, avec Dämon, un spectacle signé Angélica Liddell, et qui évoque la figure du cinéaste suédois Ingmar Bergman. Entre fantasmes enfouis et terreurs inavouées, la performeuse espagnole et sa compagnie nous confrontent à tout, jusqu'à ce dernier démon qui n'est pas la mort, mais la vanité. Pour vivre "tout ce dont on n'ose pas parler dans les dîners en ville". Attention, ce spectacle est déconseillé aux moins de 16 ans, des scènes pouvant heurter la sensibilité du public. Ce sera donc jusqu'au 5 juillet, à 22h, cour d'honneur du Palais des papes.

C’est fini pour le festival « in ». Pour fêter ça, et parce qu’il est le nouveau directeur, à la suite d’Olivier Py et que sa première programmation, pour 2023 a été réussie, je vais aller voir le spectacle intitulé By Heart,signé Tiago Rodrigues, ce soir dans la Cour d’honneur du Palais des papes. C’est uniquement ce soir. Je vous lis sa propre annonce, car ce n’est pas une création mais un spectacle qui tourne depuis 2013. « Comme vous voyez, il y a dix chaises vides sur la scène. Je voudrais que dix spectateurs prennent place sur ces chaises. Avant que vous acceptiez mon invitation avec enthousiasme, je voudrais vous dire que ces dix spectateurs vont apprendre un texte par cœur. Un texte court, pas trop difficile, pas trop simple non plus. C’est un texte possible. Ces dix spectateurs n’auront pas à jouer la comédie. Ils n’auront rien à faire de particulier. Tout sera calme et normal. » C’est une sorte de manifeste théâtral, pour dire la puissance de la poésie à travers la création d’une communauté inattendue. Merci de m’avoir suivie dans ces pérégrinations théâtrales, j’espère que vous y avez pris du plaisir et fait le plein d’émotions, bonne fin de festival off, et à l’année prochaine j’espère. Ce 25 juillet à 22h dans la Cour d’honneur du Palais des papes

Unique avant-dernier spectacle du festival « in » : il s’agit de La Maison Tellier & Friends. C’est un spectacle musical qui vient faire écho à la fameuse chanson et à l’album de Neil Young « Harvest ». Il est produit en partenariat avec le Printemps de Bourges, et met en scène la Maison Tellier et plusieurs autres artistes. Non, rien à voir avec la fameuse nouvelle de Maupassant, et tout à voir avec le groupe de pop/rock/Folk dont les membres ont décidé de tous prendre comme nom de famille « Tellier ». Le groupe a décidé d’explorer, avec de nouvelles voix, ce disque de légende. Ainsi assisterons-nous à autant de rencontres amicales qu’il y a de titres, ballades bouleversantes et morceaux cultes. Le tout revisité, comme l’ont été Ziggy Stardust et Transformer, au sein d’une « Trilogie 72 », année de sortie de l’album. Le 24 juillet à 22h à l’Opéra Grand Avignon

Ce spectacle fait l’objet, comme Antigone, d’une mise en garde : certaines scènes peuvent heurter la sensibilité du public. C’est le propre du théâtre que de heurter parfois, comme le fait le cinéma. De quoi est-il question ? Sur le plateau, huit femmes, artistes et noires. Elles regardent leur public, nous spectateurs, avant de prendre la parole et de nous livrer leurs trajets de vie. La figure de la femme noire qu’elle vont nous livrer est une image bien lointaine de celle de nos fantasmes, loin de celle que nous proposait Léopold Sédar Senghor au siècle dernier. C’est un quotidien niché au cœur d’une société française qui ne les autorise, pour la plupart, qu’à être au service des autres. Volent en éclat les imaginaires coloniaux et ses clichés racistes, sexistes. Il ne s’agit pas, pourtant, de donner des leçons à quiconque. Rébecca Chaillon, la metteuse en scène et autrice du texte, est une performeuse afro-militante, née à Montreuil, et elle a choisi l’humour et le carnaval pour bouleverser nos repères. Les 23, 24 et 25 juillet à 22h30 au gymnase du lycée Aubanel

Pour ce spectacle, il y a une mise en garde : certaines scènes peuvent heurter la sensibilité du public. Il s’agit de Antigone in the Amazon, conçu et mis en scène par Milo Rau. C’est une création 2023, en anglais, portugais, tucano, une langue parlée en Amazonie par environ 4 500 personnes, en flamand et français surtitré en français et en anglais. Nous sommes à la fois au cœur de la mythique Thèbes, et dans la province de Para, au Brésil, un lieu maudit où la jungle amazonienne brésilienne se désagrège, pillée et détruite irrémédiablement par des grands groupes industriels. Sur ce sol dévasté, Milo Rau réunit ses comédiens et comédiennes brésiliens et européens, mais aussi des musiciens, des activistes indigènes et des membres du Mouvement des sans-terre. C’est leur vécu et leurs connaissances qui vont être mariés et mélangés avec notre culture greco-romaine, occidentale. Ainsi se clôt la trilogie de l’antiquité, signée Milo Rau. Les 21, 22 et 23 juillet à 22h30 sur l’Autre scène du Grand Avignon, à Vedène

The Romeo est un spectacle signé Trajal Harrell, un Américain qui est à la fois metteur en scène, chorégraphe, scénographe et créateur des costumes. Romeo, personnage shakespearien par excellence, est presque plus connu que Juliette, il est devenu un nom commun, rassembleur peut-être mais aussi ambigu. En effet, est-il un grand amoureux, ou au contraire un séducteur invétéré ? Trajal Harrell, qui est lui-même danseur et participe au spectacle, a collé un « the », un article à ce prénom mythique pour en faire un archétype, un paradigme. Il se joue ainsi des frontières culturelles, mais aussi des frontières géographiques et spécifiques. The Romeo est une histoire de la danse qu’incarnent des interprètes de toutes les origines, de tous sexes et même de toutes générations, tempéraments et humeurs. C’est une ode à la liberté lorsque l’on est parvenu à laisser la tragédie derrière nous. Le 20 juillet puis les 22 et 23 juillet à 22h30 dans la Cour d’honneur du Palais des papes

C’est un drôle de spectacle, qui commence à 6 h du matin ! « Que ma joie demeure », est un formidable atelage de théâtre et de marche, adapté et mis en scène par Clara Hédouin d’après un texte de Jean Giono. Une épopée romanesque à l’air libre, comme nous le vante le programme. Voici l’argument : sur un plateau des Alpes-de-Haute-Provence, une « lèpre » mystérieuse, ou plutôt une tristesse, s’est glissée dans le quotidien des paysans. Une nuit, en lisière de la forêt, surgit un étranger, Bobi. Il va les conduire à porter un autre regard sur eux-mêmes, sur la terre qu’ils cultivent et la forêt qui les entoure. Petit à petit, la dépression laisse la place à la joie, une joie qui envahit tout avec une sensualité dévorante. Le spectacle alterne le jeu et la marche, liant les acteurs et les spectateurs au paysage au cours d’une sorte de traversée sensible d’un milieu vivant. Les 19 juillet puis du 21, 22 et 23 juillet à 6 h dans le village de Pujaut, transport et pique-nique compris

En Atendant rassemble les musiciens de la formation Cour et Cœur, et les danseurs de la compagnie De Keersmaeker. Ils se livrent ensemble à une sorte de méditation dans l’espace du cloître, qui est à la fois clos et ouvert, qui permet de sentir et de respirer, et d’écouter les polyphonies dites de l’ars subtilior. Il s’agit d’une forme musicale, un style particulier né à la fin du 14ème siècle, lors de l’épidémie de peste noire. C’est une musique d’un extrême raffinement, dotée d’une complexité rythmique et polyphonique tout à fait originale pour l’époque. Cette musique est apparue en France et en Italie, on en trouve des exemples à la cour du duc de Berry, de Gaston Fébus et… à la cour des papes d’Avignon ! Anne Teresa De Keersmaker renoue ainsi le fil d’une tradition avignonnaise, elle fait aussi dialoguer sa chorégraphie de 2010 avec finalement le spectacle finalement créé pour notre festival 2023, car en 13 ans, les danseurs ont forcément évolué, d’autres sont venus les rejoindre et d’anciens sont partis. Un plaisir, de toute façon, de revoir une œuvre signée par cette figure majeure de la danse contemporaine. Les 18 et 19 juillet puis du 21 au 25 juillet à 20 h 15 au Cloître des Célestins

Spectacle en anglais, surtitré en français, All of it est signé Alistair McDowall, un jeune dramaturge anglais bercé par les œuvres de Harold Pinter et Samuel Beckett. Plusieurs fois récompensé outre-manche pour ses pièces de théâtre, c’est donc avec grand plaisir qu’on ira voir sa production, proposée par le Royal Court Theatre, un lieu dédié aux autrices et auteurs contemporains. « All of it » est composé de trois monologues pour une même actrice, Kate O’Flynn, incarnant trois personnages féminins. Des vies ordinaires, mais qui cherchent à échapper à leur condition humaine. La mise en scène est signée Vicky Featherstone, la directrice artistique du Royal court Theatre, cheville ouvrière de ce lieu si particulier et si important pour les jeunes auteurs, et par ailleurs auteure notamment de scénarios pour la télévision ; et Sam Pritchard, qui est lui aussi un jeune auteur et qui est directeur associé au Royal Court Theatre en charge des relations internationales. Les 17 et 18 juillet puis du 20 au 23 juillet à 19 h au théâtre Benoît XII.

L’auteure, qui est aussi la metteure en scène, invite les spectateurs de Dispak Dispac’h à s’installer dans son agora, et à écouter l’acte d’accusation, émis en 2018 par le Groupe d’information et de soutien des immigrés, le GISTI, lors du Tribunal permanent des peuples. De quoi s’agit-il ? D’une Cour qui met l’Europe tout entière face aux violations des droits des personnes migrantes et réfugiées que les pays laissent impunément commettre. Les interprètes des victimes, et les membres de la société civile prennent la parole, s’écoutent, se regardent, dansent, créant ainsi un espace susceptible d’éveiller toutes les envies d’agir. Ce dispositif a été, en réalité, imaginé par Patricia Allio. Son regard et ses récits viennent bouleverser nos sensibilités et mettent en lumière une certaine forme d’abdication européenne, un sujet brûlant en ces années de guerre en Ukraine, sol européen, qui a généré près de 3 millions de réfugiés. Entre le 16 et le 19 juillet puis le 20 juillet au gymnase du lycée Mistral

Angela (a strange loop) est un spectacle en anglais surtitré en français. Il est signé Susanne Kennedy, jeune metteure en scène très prometteuse, qui affectionne un théâtre sensoriel dans lequel l’émotion exprimée par les personnages sont renforcées par leur maquillage, leurs costumes et leur jeu. L’histoire est celle d’Angela, une femme qui se filme sur YouTube et communique sur sa maladie. Hors caméra, elle s’intéresse d’une autre façon à ses propres perceptions, et se laisse emporter dans ses mondes intérieurs, fiévreux, souterrains, inquiétants. Susanne Kennedy a fait appel à l’artiste multimédia Markun Selg pour marier, grâce à la technologie, surnaturel, science-fiction et post-humanisme. Ainsi nos certitudes et notre discernement sont-ils mis en doute. Jusqu’au 17 juillet à 19 h au gymnase du lycée Aubanel. Deux représentations supplémentaires les 15 et 16 juillet à 23 h.

Ce spectacle, créé pour cette année 2023 par le metteur en scène Gwenaël Morin, est inspiré par la bien connue pièce de Shakespeare : Le songe d’une nuit d’été. Nous avons donc Héléna, qui aime Démétrius, qui aime Hermia, qui aime Lysandre. Une spirale de désir, des aveuglements amoureux qui ballottent les personnages dans une comédie baroque et quelque peu surnaturelle. Et leur amour les uns pour les autres est si puissant qu’il leur fait croire qu’ils parviendront à s’émanciper de leurs pères autant que des dieux. Est-ce seulement possible ? Entre le 13 et le 18 juillet et entre le 20 et le 24 juillet à 21 h 30 au Jardin de la rue de Mons, Maison Jean Vilar.

Une pièce signée Pauline Bayle, écrite en s’inspirant profondément de l’œuvre de Virginia Woolf. Bayle y a puisé la narration de destins croisés, ceux d’une bande d’amis, et entrelace dans un même mouvement l’éblouissement de l’enfance et le désenchantement de l’âge adulte. C’est un portrait en creux de cette merveilleuse autrice et femme de lettre britannique, cette Virginia Woolf qui a su peindre avec mordant et réalisme les mœurs de son temps. On retrouve dans la pièce de Pauline Bayle les rêveries, états d’âme et pensées contradictoires des personnages de Woolf, une écriture quelque peu diffractée qui expose les multiples possibilités de la narration. Ce soir le 12 juillet à 22 h et jusqu’au 16 juillet au Cloître des Carmes, à Avignon centre

Il s’agit d’un spectacle en plusieurs parties, interactif et international, qui se déroule dans une petite commune du Grand Avignon Les spectateurs vont explorer la nature autour du village à la découverte de 7 propositions artistiques : une immersion sonore dans une conversation, une chorégraphie, un récital, une expérience de réalité virtuelle, de la poésie, des chants, des sculptures musicales et même une lecture faite par les spectateurs eux-mêmes. Entre le 11 et le 13 et les 15 et 16 juillet à 16 h. Sept heures de représentations, pauses comprises.

Les comédiens rassemblés dans l’extraordinaire lieu constitué par la carrière de Boulbon, acteurs et musiciens, vont entreprendre un voyage dans le temps, du passé au présent, inspiré par les très nombreuses allégories présentes dans le tableau éponyme de Jérome Bosch. Ils créent ainsi un monde de l’entre-deux, entre fantaisie presque réaliste et utopie merveilleuse, redessinant un nouveau rapport entre nature et culture, pour répondre de façon ludique aux défis qui nous menacent aujourd’hui en matière d’environnement. Les 11 et 12 juillet puis et du 14 au 18 juillet à 21 h 30 à la carrière de Boulbon.

An Oak Tree tourne depuis plus d’une dizaine d’année dans le monde entier, mais il est présenté pour la première fois en France cette année à Avignon. L’argument est le suivant : un père a perdu sa fille et depuis, il continue à percevoir sa présence et à chaque fois, il se tourne vers… un arbre. Par ce geste, l’auteur interroge la capacité du théâtre à transformer une chose en une autre : un enfant en arbre, ou l’inverse. Une métamorphose renouvelée chaque soir grâce à une interprète différente. Une expression non-conventionnelle du théâtre expérimental. Les 9, 10 et 11 juillet à 22 h. au Cloître des Célestins, à Avignon

Six comédiens se glissent dans la peau de trois chercheurs et trois chercheuses qui travaillent sur des fragments d’ADN ancien, dans la solitude de leurs laboratoires respectifs. Au fil de leur recherche, qui s’apparente à une véritable enquête sur notre ancêtre commun Néandertal, ils vont tisser des liens, s’aimer, rivaliser, se détester. La vraie vie, en quelque sorte. Les 7 et 8 juillet, puis du 10 au 12 juillet à 15 h, sur L’Autre scène du Grand Avignon, à Vedène.

G.R.O.O.V.E., de Bintou Dembélé, est une « déambulation performance ». Autrement dit, c’est un spectacle au croisement des cultures populaires, de la musique baroque - l’on pourra à nouveau entendre des extraits notamment des Indes galantes, de Rameau - et sur fond de courts-métrages et de diverses formes de danses de rue. Opéra Grand Avignon, le 6 puis du 8 au 10 juillet à 17 h.

Welfare est une adaptation du film éponyme de Frederick Wiseman, tourné en 1975, qui montrait la complexité du système de santé américain et des problèmes qu’il posait. Presque cinquante ans plus tard, le spectateur constatera une troublante similitude, qui s’est jouée de la distance temporelle comme géographique. Julie Deliquet transforme la Cour d’honneur en un centre d’aide sociale improvisé, pour quinze héros du quotidien dont les récits dressent, en creux, le portrait des dysfonctionnements français. Welfare, Cour d’honneur du Palais des papes, du 5 au 8 et du 10 au 14 juillet à 22h.